Ça y est, valise bouclée, tenue de rando prête à me suivre, dico de russe dans la poche pour l'avion, nom de l'hotel ecrit 12 fois sur les bras, les billets, le sac pour le taxi, je crois que je suis prêt.
Vraiment désolé de ne pas vous avoir suivi ce WE, les préparatifs m'avaient l'air tres nedvedesques, vous êtes même sans doute restés à Lyon, voire à murmur (honte à vous), j'aurai bien aimé prendre l'air une dernière fois, celui garanti sans radioactivité ni pollution chinoise et autres composants exotiques russes. Finalement j'ai passé les derniers jours dans les valises, les paperasses, et les dialogues unilatéraux Nico-AliceADSL ; j'ai même casé un dessin pour le journal.
Demain passage éclair à Lyon avec la belle famille et repas réservé depuis une semaine.
Pas d'embrassade larmoyante donc, c'est mieux comme ça, je préfère rester sur le nedvedesque souvenir du déménagement de NedvedAlain et ma rencontre avec sa baie vitrée, sur celui de la fête de thèse de Vincent, membre du tres select Islande-Rider et sur le foot auvergnat avec NSoulier.
C'est marrant on a l'impression que je fais un testament, je suis sûr que si je partais pour les antilles, je vous aurais meme pas dit au revoir.
Premieres photos sur le blog et adresse du blog fin septembre.
Bons vols, bonnes escalades, bonnes randos, bon matage de Marion et pour les furieux qui voudraient voir les 7500m du Kenh Tengri à 200km d'Almaty, la porte est ouverte (héhéhé, ça me ferait bien rigoler d'en voir un arriver à l'aéroport...)
A+ les nedveds, RDV début juin ou juillet pour la reprise. Après un an à 1000m et en vélo, je vais vous exploser en rando.
NedvedNico, s'apprétant à retourner sur la terre de nos ancêtres
Table des matièresNous venons de reussir la premiere epreuve d integration au kazakhstan : nous avons un appart, suffisament russe pour ne pas etre venu pour rien, et suffisament classe pour que vous puissiez venir ici (je m adresse aux deux ou trois courageux / ses qui se reconnaitront). Nous avons pu verifier des la sortie de l aeroport la rigueur des ambassades des trous du cul du monde et la solidarite interfrancaise, puisque l appart promis n existant pas un francais du coin a ete prie obligeamment a 23h de nous accueillir pour 10 jours dans son salon. De la a commence une belle petite semaine de recherche d appart avec une employee de l alliance championne du curage d ongle et apres 7 jours nous avons eu le choix entre un garage ou un studio de 30m2 a cote d un casino.
C est finalement une etudiante de l alliance prise de pitie qui nous a sauve et nous voila locataires d un petit appart dans les quartiers calmes d'almaty, avec baie vitree donnant sur les montagnes enneigees du Tian Shan... si tout va bien et que la proprio ne nous fout pas dehors dans un mois pour un pretexte pourri comme ca a l air d etre le cas ici ou si elle ne nous double pas le loyer parcequ elle a change les lustres.
Thida a commence son boulot lundi, violemment : 8 eleves le premier soir, 1 le lendemain, 7 ce soir, la fac commence la semaine prochaine.
Si l obstacle de l appart est franchi, je crois qu on ne va pas regretter
notre depart, il y a des montagnes partout autour de la ville, des supers
lacs, le kirghistan a 4h de route, la chine a une journee, la steppe a 2
heures, et surtout une super connection internet a 32 K/s, donc ne vous
inquietez pas : pas de mails intempestifs en perspective parce qu on aura
croise un kazakh a cheval ou une yourte...
Bises a tous
Nicolas
Bonjour à tous, (« zdradvouïstié » en russe, ca explique suffisamment clairement pourquoi j’ai du mal à progresser dans mon apprentissage de la langue, déjà que j’articule comme un cochon en français, ici il n’y a que des tremas, des triples consonnes et des voyelles bizarres)
Ca y est la vie normale a repris son cours : Thida grommelle toute la semaine dans l’attente de la grasse mat’ du dimanche matin et Nico se fait des pauses télé entre ses dessins, faute d’internet – et c’est très enrichissant. Je me suis déjà tapé entre autres des matchs de foot locaux – Dynamo X contre CSK Y (0-0) commentés par de vieux dépressifs, des séries russes qui semblent toutes se dérouler dans des sous-marins ou des casernes militaires, des reconstitutions de la guerre de Tchétchénie en image de synthèse (genre soulcalibur sur playstation), des jeux télévisés où un gars passe ses journées à faire ouvrir des valises contenant différentes sommes d’argent à un candidat, des séries américaines doublées en russe, des séries américaines doublées en russe par-dessus la VO par plusieurs voix , des séries américaines doublées en russe par-dessus la VO par une seule voix et des séries américaines doublées par une seule voix avec la bande son muette et ça donne une énorme course poursuite dans K2000 avec les voitures qui dérapent sans faire de bruit, les gyrophares qui tournent dans le vide, pas de musique et le même gars qui commente les matchs de foot qui dit « ca va Kit ? » « Da da Michael Knightovitch, halacho ». Le top ca a quand meme été le premier jour : on est tombé sur Falco et le commandant Cousteau en pleine plongée intime en bathyscaphe… Pour une fois le doublage était bien fait et la voix off ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle de cousteau, c'est-à-dire bien soporifique mais on comprenait bien quand il disait « Falco » et « Calypso »… Finalement, j’ai arrêté la télé et je bosse deux fois plus efficacement qu’en France.
A part ça la vie locale est très enrichissante : on respire chaque jour la production mensuelle de fumée des raffineries de Feyzin, les trois quart des chauffeurs de taxi ont une place réservée dans le guinness pour leur taux d’alcoolémie et le dernier quart pour le nombre de feu rouge grillé. Donc soit on meurt à pied a cause de la pollution, soit en taxi dans un accident, soit en bus etouffé par les autres passagers. Pour l’histoire Thida s’est retrouvée coincée en heure de pointe dans un bus : impossible de descendre à notre arrêt, elle a du attendre que le sumo qui lui servait de voisin sorte pour prendre un autre bus dans l’autre sens et arriver à l’appart. De ce côté on continue de s’équiper : lors de notre dernière expédition en supermarché nous avons réussi à ramener une magnifique brosse à chiottes, un ensemble pelle balayette, une serviette éponge et des tupperwares sans avoir à dire un seul mot – comme je suis devenu un champion des chiffres en russe (grâce au jeu télé) on est même passé à la caisse tranquilles genre on est russe – mais la caissière a demandé d’ouvrir aussi nos sacs, je lui ai répondu «merci, au revoir », elle a insisté et l’illusion a cessé.
Depuis une semaine j’ai également lancé l’opération « du sel » mais sans succès : la logique des rayonnage du supermarché russe est assez obscure et je mets un point d’honneur à ne pas demander, et à ne pas sortir les poches vides – du coup on a plein de trucs inutiles qui demandent déjà qu’à moisir. Finalement c’est une kazakhstanaise invitée à la maison qui s’en est chargée. Je vous tiendrai bien sûr au courant de l’opération « des néons, du fil, un cruciforme et une plaque de verre dépolie de 50/65 en 5mm pour ma planche lumineuse » d’ici six mois.
Il y avait aussi cette semaine « nico et thida vont au ciné pour déchiffrer le programme devant l’entrée pendant une demi-heure et rentrer se coucher parce que le film ne sort que la semaine prochaine » , « nico et thida commandent à plouf plouf au resto et le regrettent le lendemain », « nico essaie de faire débloquer son portable », « « nico essaie de faire débloquer son portable II : il trouve enfin la boutique mais il a oublié son portable», « nico essaie de faire débloquer son portable III : il traverse toute la ville à pieds sous la pluie avec son portable mais la boutique est fermée» sans oublier « nico et la maraîchère philosophent en russe – de l’analyse comparée des noms des légumes en français et en russe» qui m’a l’air prometteur…
Le seul truc à peu près sûr ici c’est qu’on part se ballader les WE et ça c’est vraiment super, on attend déjà le printemps pour commencer les grosses randos.
Bises à tous.
Nico
Bonus linguistique : Thida a fait toutes les boutiques du quartier hier en demandant des patates telephoniques (kartochka au lieu de kartachka - carte) donc ca y est on est bien reperes et moi j ai cherche a acheter du poussi roti. Evidemment on a rien trouve du tout...
Début de semaine catastrophique : on a perdu le cable à la maison, la proprio n’a pas payé, vous imaginez mon désarroi. Non seulement Eurosport 2 Kazakhstan avait annoncé la retransmission exclusive différée du mondial de hockey sur gazon avec mon ami commentateur des matchs de foot, c’est bien sûr un événement que je n’aurais raté sous aucun prétexte, j’avais déjà bloqué mes après-midi… mais en plus j avais découvert entre temps une nouvelle série russe se déroulant… pour ceux qui suivent … dans une caserne militaire… et qui sortait du lot : belles images, intrigue prenante , et une super jolie actrice qui interprétait une prof de danse dont tombaient amoureux tous les élèves - et tous les expats regardant la série comme j’ai pu le vérifier lors d’un repas – mais à cause de notre proprio je saurai jamais QUI dansera avec elle à la soirée de la caserne. Bref je me morfonds et mes rencontres au sommet avec la vendeuse de legumes n’arrivent meme plus a m’amuser depuis qu’elle a doublé les prix et que je l’ai surprise a apprendre le russe a un étudiant pakistanais. On a quand même lancé une nouvelle opération « Un visa pour nico » pour m’occuper : ça c est fini par un squat dans le bureau du conseiller de l’ambassadeur, auquel j’ai raconté ma vie dans les moindres détails depuis mon CP pour le faire céder, ce qui est arrivé assez vite. Officiellement je suis donc à présent stagiaire webmaster à l’ambassade de France, ce qui devrait me permettre d obtenir le visa multientrées sur un an – à voir - et de consulter mes mails gratos a l’ambassade apres m être fait tripoter par Youri et Serguei les deux lutteurs kazakhs fétichistes reconvertis en gardes d’entrée. Donc prochain mail en juin…
En parlant de luttteurs kazhaks ca me fait penser à notre proprio. Elle est super gentille, mais un peu curieuse. Si vous voulez vous faire une idée, entrez « asasekiryu » dans google image. Déjà elle nous demande de ne jamais ouvrir à personne, sous aucun prétexte. Soit. Une semaine apres l’emmenagemment, on sonne à la porte – on attendait personne – Thida regarde à travers le judas : « Ouah, c’est trois gros barraqués, on ouvre pas, ça craint ». Au bout de deux minutes un des trois gros a commencé a gueuler : c’était la proprio et deux plombiers qui venaient réparer la baignoire. Autre curiosité : elle est extremement attachée à son appartement, ce qui est compréhensible, elle a vécu ici avec sa fille qui est partie à Moscou depuis deux ans, mais elle semble avoir surtout un lien particulier avec notre salle de bains toilettes qu’elle honore à chaque samedi de son passage. On en est même venu à se demander s’il ne s’agissait pas de sa seule visite hebdomadaire. D’un autre côté ca fait plaisir, elle se sent a l’aise avec nous. Il n’en reste pas moins que nous redoutons chaque fin de semaine.
Notre socialisation avance a vitesse grand V grâce au réservoir d’amis infini que constituent les élèves de l’alliance française, (vraiment très sympas, sérieusement). Nous sommes donc partis le WE dernier dans les montagnes avec des étudiantes kazakhstanaises pour une grande rando de 45 mn, entrecoupée de 6 pauses gastronomiques. Tout le monde était en jean, sac a main et chaussure de ville sauf deux couillons équipés pour faire de la montagne, parce qu’ils avaient pas compris au téléphone, donc on est passe pour des bons touristes, mais le pire était a venir puisque apres ce trek extreme, toutes les filles qui se destinent à etre profs ont reclame à Thida qu’elle leur apprenne des jeux en français. On a donc fini l’apres midi en jouant à « Ma maison sous terre », « Le tueur », et « Pierre appelle Paul », alors qu’au meme moment, sur Eurosport 2…
Notre apprentissage du russe lui aussi progresse, euh non, en fait pas du tout, j’ai juste retenu, yagada qui veut dire baie grâce aux randonneuses et aux fraise tagada, klubnika qui veut dire fraise, parce que c’est vraiment LE mot russe typique, couï qui veut dire bite, mais c’est quand meme un faux ami et gorbatia qui veut dire bossue grace a Gorbatchev. Je vais voir si il y a d autre mots de ce style avec Staline ou Brejnev. En ce moment, au niveau communication je souffre plutot du syndrome de « l’homme invisible ». Les symptomes sont assez simples : vous faites la queue devant un snack pour commander un truc, vous attendez patiemment votre tour et quand vous arrivez devant le vendeur avec votre phrase apprise par cœur et le billet, le gars voit a travers vous, il ne vous repond pas, il ne vous entend pas et il sert la babouchka derriere vous qui vous a deja viré d’un coup de sac plastique et vous vous retrouvez comme un con avec votre billet au bout de la queue, en general les hommes invisibles se reconnaissent par le fait que ce sont les seuls a attendre devant les etalages vides a 23h. Il y a plein de variantes : l’homme invisible se fait éjecter de la queue par un gros kazakh, l’homme invisible demande son chemin, l’homme invisible dans le tramway – tres rigolo, la conductrice hurle les arrets depuis son siege et vus sa voix et ses epaules, tu te demandes chaque fois si c est un ordre ou pas. L’homme invisible se refugie en general dans les supermarchés où il est sur de pouvoir acheter quelque chose sans deranger personne.
Thida m’a ramené quelques nouvelles ratées dans la voie perilleuse de l’apprentissage russe. Cette fois on passe des erreurs innocentes aux fausses traductions données par des russes, c’est donc assez facile à imaginer. Rapporté une copine de l’ambassade : un français venu en voyage d’affaire qui a voulu finir sa conférence traduite par une phrase russe apprise en phonétique pour faire un effort et qui au lieu du vigoureux « il faut maintenant se prendre en main » a déclare avec enthousiasme « il faut se prendre par la bite » devant une petite centaine de personnes. Le gars qui lui avait fait la traduction doit être assez sympa dans une soirée de mariage. (Cela dit, vu comment on dit bite en russe, je me serai méfié).
Plus sympa et spontané : la directrice de l’alliance, genre businesswomen ambitieuse, décoletté ravageur, a confondu « pollution » et « ejaculation », j’ai raté ca…
Perso, je préfère encore la patate téléphonique.
Petite page gastronomique à présent. Sachez que 100g de Plof, plat local, contiennent a peu pres 270% de ANJR en cholesterol, graisse, et oméga3, de quoi se requinquer en 3 repas et rejoindre notre proprio en 2 semaines.
Bises
A+
Le Kirghizstan est un pays somptueux, fantastique, tout bonnement extraordinaire : ses villes sont des joyaux architecturaux, le fleuron de cet urbanisme soviétique si chaleureux, ses habitants sont d’une gentillesse infinie, que n’égalent que leur beauté, leur affabilité et leur sobriété, ses bus surpeuplés sont un hymne à la fraternité et à l’intimité joyeuse, l’ambassade kazakh est une belle bande de casse-couilles, mais j’ai mon visa, je suis très heureux, la vie est belle et Eurosport 2 est une grande chaîne d’information.
Le 3 octobre au matin, veille de l’expiration de mon visa kazakh je suis à la gare routière de Sayran à Almaty avec deux français qui ont à peu près le même problème que moi et sont obligés d’aller visiter Bichkek pendant 5 jours – il faudrait voir si le syndicat d’initiative n’a pas passé un accord avec le Ministère des affaires étrangères kazakh.
Bizarrement moi qui était habitué à passer incognito n’importe où en ville, qui aurait presque pu rentrer dans une banque, enjamber le comptoir piquer deux ou trois liasses de billets et le bloc-notes de la caissière sans être reconnu ; ici, dans la gare, avec juste un petit sac sur le dos j’étais devenu une vraie star: tout le monde tenait absolument à me faire monter dans son propre bus, même s’il était plein, même s’il allait à l’opposé de Bichkek, même si on disait non six fois de suite, voir autant de gens prêt à me faire plaisir à ce point, si empressés à mon égard, si soucieux de la réalisation de notre petit voyage… vraiment je ne regrettais pas d’avoir appris quatre mots russes de plus la veille, ce sont ces petits détails qui font réussir une intégration et lire dans le regard de l’autochtone la reconnaissance d’avoir appris une langue si obscure et rebutante pour le simple plaisir de discuter du match de la veille et des hémorroïdes de Tchékhov.
Après deux tours de gare, en ayant largement battus notre record du tour au second passage pour échapper aux rabatteurs de « Taraz » ville fantôme de la frontière, à dominance kazakh et donc mafieuse insinuent ici quelques millions de médisants (c’est quand même sympa de se faire suivre par des gars qui arrêtent pas de te dire « tarass » en souriant), on a finit par trouver LE camion qu’il nous fallait, mercedes flambant neuf importé tout juste d’Allemagne, avec clim, fauteuil confort, vitres teinté, ABS et combi TV K7 pour patienter avant que les places se remplissent. Le petit problème c’est que, comme une fois sur deux, on a eu droit à un Jean Claude VanDamme doublé par mon ami russe (avec version originale en fond ce qui permet d’apprécier le nombre infini des variations subtiles que VanDamme peut utiliser pour dire fuck), le second petit problème c’est que dans ce film JCVD a un frère jumeau, donc deux fois plus de fucks et de grands écarts au ralenti.
En tout cas le réalisateur a eu une bonne idée, pour différencier les deux frangins c’était pas compliqué : gomina et cure-dents pour le premier, méchant, et brosse permanentée avec tee-shirt dans le pantalon remonté sous les pectoraux pour le second, le gentil qui se déniaise à la fin. Passionné par l’intrigue je n’ai pas remarqué que le camion s’était rempli me donnant au passage une de ces joyeuses voisines quinquagénaires arrosées de Shalimar ni que nous étions déjà partis depuis un quart d’heure. Un quart d’heure plus tard je me suis rendu compte que nous n’étions toujours pas sortis de la gare mais que nous avions fait environ 150m, le temps pour JCVD d’exterminer la moitié de la Thaïlande et d’exploser les coutures de tous ses pantalons au point de dépasser la capacité de retouche des couturiers du Sentier à Paris une veille de Shabbat.
L’avantage d’un pays comme le Kazakhstan c’est qu’on peut jouer à « combien de virages avant d’arriver » même en étant manchot d’un côté et amputé de trois doigts de l’autre, le problème c’est que quand ta voisine s’affale sur ton épaule pour dormir et que le peu de Shalimar encore coincé dans son oreille suffit à dératiser la tour Montparnasse, tu peux attendre 100 km avant qu’un virage la fasse basculer sur la vitre de l’autre côté, on a donc joué au ping-pong à coup d’épaules avec le français qui avait la chance de se trouver de l’autre côté de la dame et j’ai fait comme le gentil JCVD, à la fin je lui ai renvoyé le tympan dans l’autre oreille. Je ne vais quand même pas me plaindre tout le temps, le film s’est fini assez vite.
Je passe sur l’arrivée à Bichkek où le comité des taxis pour la promotion de la langue russe m’a fait lui aussi un accueil délirant, j’ai été touché bien sûr mais pour ne vexer personne j’ai choisi de partir à pied, sans hésiter, calculant que le centre-ville se trouvait approximativement à droite en sortant, pas très loin à pied. Evidemment on s’est trompés et si nous n’avions pas demandé à une petite fille qui nous a arrêté un taxi et envoyés à la guest-house je serais à l’heure qu’il est quelque part vers la frontière ouzbèk.
La petite visite à l’ambassade kazakhe effectuée il nous restait encore cinq jours à occuper. Un pour voir la ville et une statue de Lénine en vraie, il en reste encore quatre que nous sommes allés passés au bord du lac Issykul, le premier endroit qui me donnerait envie d’écrire en m’appliquant tellement c’est beau, et dont j’ai du mal à montrer une seule des cent photos quotidiennes faites sur place tellement c’est mieux que ça.
Après Titicaca Issykul et le second plus grand lac d’altitude du
monde (170 km / 70), le plus profond (670m) et sûrement premier ex aequo
pour la mocheté du nom avec Titicaca aussi. L’endroit tient à la fois
du Cap-Ferret pour les petites maisons de bois, les allées à demi
ensablées plantées de vieux arbres et les plages, de Bourg d’Oisans,
pour la fraîcheur de l’air le soir, la proximité immédiate des
sommets, d’Aiguebelette pour le cabotage en pédalo sous les falaises,
et d’un autre pays où on pourrait voir à 180° des sommets de 5000m
et plus plonger dans le lac sur presque 200 bornes. Voilà pour le guide
vert.
Les eaux du lacs sont anormalement chaudes en raison d’une grosse
activité tellurique ce qui donne à la région un climat relativement
clément (-5° en hiver, les plages doivent être pleines de vieux), et une
richesse faunistique, touristique et agricole considérables. Du temps de
l’URSS c’était LA destination balnéaire des hiérarques et de
leurs amis, aujourd’hui c’est Deauville en novembre tous les
jours. La région est habitée depuis plusieurs milliers d’années et
on trouve autour du lac de nombreuses roches marquées de pétroglyphes très
jolis quand on ne sait pas quoi faire et quand on arrive à les trouver dans
le parc aménagé à cet effet, c'est-à-dire un carré de 2km par 2km
entouré de poteau sans grillage : c’est exactement comme à Pâques
quand tu cherches les œufs dans le jardin sauf que là tu peux vraiment te
perdre sans être sûr en plus de trouver quelque chose. Les villages de la
côte sont pour la plupart d’anciennes stations balnéaires ou des
sanatoriums reconvertis.
Pour vous dire à quel point cet endroit se détache des autres, à quel point il est agréable d’y séjourner, la statue du Lénine à l’entrée du sanatorium est un bon gars avec un sourire jusqu’aux oreilles qui fait remonter les moustaches, habillé en costume du dimanche, mains dans les poches, veston ouvert sur une chemise cachant mal un embonpoint satisfait. Rien à voir avec le gars méchant qui tend le buste et le bras vers un avenir prometteur mais si difficile à atteindre, là c’est Lénine joue à la pétanque. Avec un peu de chances on enverrait Bush là-bas et il serait capable de devenir ostréiculteur…
Cela dit le meilleur du voyage restait encore à venir puisque après être allés à Issykul dans un second bus déplorablement banal il a fallu en prendre un troisième au retour qui s’est avéré largement à la hauteur du tout premier. J’avais failli me taper deux gamins dont un largement au-dessous de l’âge de propreté et l’autre largement au-dessus du seuil de nuisance sonore, mais dans un réflexe étonnant que je ne m’explique toujours pas j’ai avisé une place libre sur la banquette du conducteur et je ne regrette pas mon opportunisme, j’en ai appris plus en 200 km qu’en toute une vie sur l’alcoolisme et ses dangers. Déjà il faut dire qu’un dialogue dans une langue nouvelle ressemble beaucoup à un début de séance des alcooliques anonymes, ça donne : -« Bonjour » - « Bonjour. » - « Je m’appelle Nicolas. » Tout le monde en chœur : -« Bonjour Nicolas .» « Je m’appelle Koulash ». –« Bonjour Koulash »… etc etc C’est plein de bonne volonté mais ça a du mal à se mettre en route, il faut un petit truc, un début de conversation qui lance la machine, peut-être une comparaison de vodkas mais mon copain et moi on a trouvé un thème incroyable : « Les montagnes c’est beau ». Bon, la première demi-heure avait été courtoise mais méfiante : une fois le France-Paris-Zidane-Kirghistan-OuiTrèsJoli dits, on était partis pour une guerre de genoux féroce à savoir qui gagnerait les cinq centimètre d’espace vital en plus, moi coincé à gauche par le levier de vitesse et la main poilue du chauffeur, lui à droite par la poignée que je m’efforçais de lui enfoncer dans les côtes; quand j’ai vu le gars se mettre à cracher discrètos contre la portière j’ai effectué un retrait stratégique et reconnu ma défaite mais je suis sûr qu’il doit encore avoir des courbatures aux adducteurs à avoir autant écarté les cuisses, c’est pas possible il a du voir des films de JCVD lui aussi…
Après cette confrontation nos relations se sont cependant réchauffées considérablement et on s’est mis à entamer la conversation, au moins dix fois avant d’en trouver une qui convienne. J’avoue que le blocage venait de mon champ lexical encore peu diversifié mais ce n’était pas faute de volonté, j’essayais tous mes mots à chaque question en espérant qu’un des quatre conviendrait à mon interlocuteur. J’avais à ma disposition « fatigué » « joli » « voiture » « montagne » plus quelques pronoms et prépositions, lui avait plusieurs questions parmi lesquelles « combien tu mesures », « Ou tu vas » « D’où tu viens » « Combien de jours à Issykul » «Tu aimes les montagnes »… C’est bien sûr cette dernière qui a scellé le début de notre amitié indéfectible car il faut savoir que 90% du Kirghizstan se trouve au dessus de 1000m et que les 300 km de routes sont entourés de montagnes. J’ai donc porté un jugement artistique sur plusieurs centaines de sommets différents que le gars me pointait au fur et à mesure, chaque virage dévoilant de nouvelles possibilités à nos échanges « Cette montagne, elle est belle ? » « Oui, elle est belle » «Ahhh, oui, elle est belle, et celle-là, là ? elle est belle ? » « Mmm, oui elle est très belle » « Tu aimes les montagnes hein » « Oui la montagne belle, très jolie » « Et cette montagne là, à droite de l’autre elle est belle ? » « Oui, elle est belle » « Et celle-là ? » « tu parles charles… ».
Un instant ça m’a fait penser à Bardot et Piccoli dans « sous le soleil de satan » : « et mes jambes, tu les aimes, mes jambes » « …Oui… » « Et mes hanches, tu les aimes aussi » « … Oui » « et mon ventre, tu l’aimes mon ventre ? » « Oui. » « Et mes seins, tu les aimes » « Oui » « et cette montagnes tu l’aimes » « Oui Brigitte cette montagne est belle »
C’était magnifique, une communion spirituelle et visuelle entre deux peuples, deux cultures que tout sépare sauf le même siège de camion Ford Transit. Au même moment je vous jure que c’est vrai, la radio passait « words, don’t come easy / to say I love you », j’en ai encore des frissons dans le dos.
Bien sûr tout n’était pas parfait, mon copain avait tendance à piquer du nez assez souvent et il reprenait la conversation au début à chaque réveil comme dans « Un jour sans fin » : « Bonjour c’est le jour de la marmotte !! » On s’est donc serrés la main trois fois, je me suis présenté cinq fois, mais ça reste pour l’instant LA rencontre de ce grand voyage sur les terres de Gengis Khan.
J’ai récupéré mon visa, fait des crêpes à la guest house pour fêter ça, et je me suis remis à la planche à dessins en arrivant, ça carbure. En tout cas vivement le prochain voyage au Kirghistan prévu début novembre pour la fête du cheval, cette fois le trajet en bus depuis Bishek va durer 7 heures, je vais me faire une fiche spécial montagne, ça va être le grand soir, Lénine sera content!
D’ailleurs, un nouveau mot facile retenir : Leniviï = paresseux
A+
Nico
bon, pas grand chose finalement : une rando a 4000 avec la
chaussure droite eventree pleine de neige, une demi heure passee sur l arete
avec les pieds dans mon pull glisses dans le sac a dos pour que la
circulation reprenne, retour prudentm bannia (sauna) au refuge avec allers
retours jusqu au torrent a poil et retour en bus a Almaty apres un passage a
Bishkeke ou ca gronde contre le president ce qui nous a coute un passage de
frontiere tres tres tres long...
A plouche
Jolie course apparemment Al Manu et Luc, bien sur le genial geologue netait pas la...
L'irremplacable chronique « ou sortir ce soir à Almaty » a fait une pause quelques semaines mais je n’avais de nouvelles suffisamment importantes qui auraient valu la peine que j interrompe un match de cricket sur le canal 16, ma nouvelle passion après les retransmissions de tournois de fléchettes et de matchs amicaux de foot féminin, surtout que chaque partie dure entre 3 et 5 heures, et ça serait dommage de rater un point important. (A l heure ou je vous ecris, je viens de constater que le cable a doté son bouquet d une nouvelle chaine de sport africaine, je ne manquerai donc pas de vous tenir au courant de ces nombreuses disciplines qui risquent un jour ou l autre d etre acceptees par le comité olympique).
Pas de grandes nouvelles non plus du côté de mon apprentissage du russe, je suis passé du stade enviable de jeune étranger exotique à celui d immigré récalcitrant souffrant de crétinisme – passé trois semaines, ici comme ailleurs, si on ne maîtrise pas parfaitement la langue on fait vraiment preuve de mauvaise volonté.
Presque une grande nouvelle qui a avorté avant de se réaliser : la télé kazakh cherchait un français pour jouer au cuisinier 10 mn par jour, revêtu d une toque et d un tablier blancs. Je me serais appelé Jean-Jacques parce que ça sonne français, j aurais du dire deux trois mots français un peu comme le cuisinier de la petite sirène, les poizons les poizons les poizons… tout ça pour 1500 $ par mois, malheureusement j’ai appris le plan trop tard et c est un autre veinard qui joue à Jean Jacques en ce moment.
Heureusement la diplomatie française intervient régulierement pour égayer nos soirées, et quand c’est pas elle c’est celle d’Allemagne ou de Grande Bretagne qui prend le relais à grands coups de raouts mondains ou d évènements culturels où on peut poursuivre la conversation entamée avec un autre expat la veille à une soirée cinéma de l’ambassade. Pour l’instant on commence juste, on est de ceux qui ont les yeux grands ouverts, qui regardent les fissures au plafond des vieux théâtres soviétiques toujours trop grands en ricanant, mais avec un peu d’entraînement on pourra avoir l’air blasé et même pas regarder le spectacle.
Pour ma première soirée j’ai quand même été gâté, j’ai eu droit à une plongée dans l’ancienne union soviétique et dans le club des fins de race. L’ambassade avait invité « une des plus belles voix françaises » à se produire à Almaty. La dame avait rempli le théâtre à Saint Petersbourg, gagné plein de concours prestigieux, reçu des dizaines de critiques flatteuses, mais bon, dans un pays ou Alain Delon est encore le fleuron de la culture française, elle a du remballer son CV et chanter devant une salle aux trois quart vide avec des musiciens pour qui Richard Cleyderman est encore le fleuron de la culture française.
La soirée était vraiment bizarre. Pour ménager les susceptibilités le petit discours de présentation a été prononcé en français en kazakh et en russe, chaque tentative du conseiller culturel pour s'attaquer aux redoutables gutturales kazakh étant saluée par un tonnerre d'applaudissements du public au moins égal à celui qu'avaient offert les québécois à De Gaulle lors de son fameux "Vive le Québec libre", et que la cantatrice a eu du mal a obtenir après son tour de chant. Après ça "une des plus belles voix de France" est arrivée sur scène, avec ce petit sourire replet qu'ont toutes les cantatrices dès qu'elles entendent une note de musique classique. Ca a duré bien deux minutes pendant que le pianiste jouait l'intro, la diva se trémoussait, bras croises autour de la taille avec sa tête de ravie de la crèche, je me suis retourné une ou deux fois pour voir si la vierge n'était pas apparue au deuxième rang, mais non y avait juste une grand-mère en robe de chambre qui était venue au spectacle avec ses chaussons et son sac plastique et qui avait elle aussi le même sourire ravi, yeux fermés, la tête dodelinant de droite et de gauche - un moment j'ai pensé que c'était peut-être une ancienne chanteuse d'opéra qui avait gardé un accès gratuit à tous les concerts de la salle après sa carrière prestigieuse mais après qu'elle ait enlevé ses chaussures pour se gratter les pieds à travers les trous de ses chaussettes et qu'elle ait fait deux trois pouët dans le mouchoir qu'elle a cherché discrètement dans son sac plastique, j'ai oublié mon hypothèse. Pendant ce temps notre amie "la plus belle voix de France" n'en pouvait plus, elle continuait à regarder le plafond avec son grand sourire béat et son balancement d'autiste, des fois elle s excitait un peu, on avait l'impression qu'elle allait chanter, elle bougeait les lèvres... mais non, ça devait être une crampe de son sourire qu'elle tentait de détendre. Finalement elle a commencé à chanter, et c'était effectivement une des plus belles voix de France, impressionnant. Bon c'est pas ça qui a réveillé la grand-mère qui s'était trouvé un ongle incarné récalcitrant ni les deux couples de comte et comtesse français atterris là au premier rang je ne sais comment et qui sont partis se coucher à l'entracte. Apparemment ces messieurs dames étaient jurés de concours musicaux, celui qui était devant moi était bien sympa : parfumé à l'anti mite, pantalon en velours tellement côtelé qu'on aurait dit un champ juste labouré, veste marron sur chemise rosâtre, cheveux grisonnants ramenés en arrière au gel, papy a passé son temps à piquer du nez, sauf quand le caméraman a posé sa caméra au premier rang, et que le sosie de Geneviève de Fontenay qui lui servait de femme lui a filé un coup de coude dans les côtes pour qu'il se réveille.
A la fin du récital tout le monde, c'est à dire le personnel de l'ambassade et leurs amis moins la grand mère qui vérifiait si sa verrue se portait bien et les 4 fins de race partis faire dodo, s'est levé pour applaudir, c'était vraiment bien, on pensait sortir de ce vieux théâtre avec dans les oreilles les derniers contre ut de la plus belle voix de France, mais quand on a commencé a prendre les vestes, la potiche de service nous a annoncé un dernier quintet à vent, et à ce moment le clarinettiste qui accompagnait la cantatrice dans un costume trois pièces très classe est revenu avec 4 copains déguisés en compagnie créole : costume blanc, ceinture et noeud pap rouge pour nous faire un best of Carmen... ça a tout foutu en l air...
A part ça on est partis au Kirghizstan la semaine derniere, il parait que c'etait la révolution, on s est rendu compte de rien.
A +
Nico
Ça y est l’hiver est arrivé au kazakhstan.
Depuis quelques semaines déjà la neige s’approchait de la ville, elle gagnait du terrain, colline après colline, sournoisement, et vendredi dernier on a enfin vu quelques flocons voleter dans le ciel d’Almaty puis s’écraser et fondre de suite sur le goudron humide. Comme tout bon citadin j’ai lâché mon dessin en cours pour effectuer devant la fenêtre la danse tribale des gens qui voient la neige une fois par an et je suis retourné à mon travail sans jeter de nouveau coup d’œil au dehors, habitué à ce que ce genre de temps ne donne finalement pas grand chose. Une heure plus tard, relevant la tête pour aller regarder le flash rituel d’Eurosport 2 (comme ils sont calés sur l’heure de Londres, on a le droit à des rediffusions en boucle du même flash toute la matinée, pendant que les anglais dorment encore, avec cependant de subtils changements de séquences ; c’est un peu comme le jeu des 7 erreurs : dans le second flash il n’y a que six ralentis du but du Besiktas Istanbul contre le CSK Sofia, contre 7 dans le premier, la jupe de Martina Hingis est plus courte, on a rajouté des cheveux à Zidane… ça fait aussi un peu film expérimental polonais : la même séquence qui se succède 15 fois avec chaque fois une petit détail qui change… c’est assez nul je le reconnais, mais c’est pas pire que ce que proposent toutes les chaînes russes et je ne parle pas de l’aérobic de la télé kazakh, où une bonne femme qui ressemble à Barbara, en anorexique, se trémousse sur de la techno locale, même moi j’ai pas tenu… Bref je me préparais pour mon lavage de cerveau et en passant devant la fenêtre je me suis aperçu qu’il y avait 10 cm de belle neige blanche solidement accrochée sur les arbres et les trottoirs. Signe de la gravité de la situation, dans la rue les voitures avaient cessé de jouer au Grand Prix de Monaco et roulaient juste comme en France, chose inimaginable. Le lendemain, grâce à cette soudaine accalmie, j’ai pu pour la première fois depuis mon arrivée traverser la rue sans me jeter dans le fossé en bout de course ni me signer huit fois de suite, et sacrifier ensuite aux autres traditions hivernales françaises que sont le concours de glissade sur trottoir et le lancé de boule de neige sur lampadaire. A ce propos il y a un truc assez simple pour distinguer un kazakh d’un étranger à Almaty : il suffit d’attendre l’hiver, l’étranger c’est celui qui sourit et qui s’amuse quand il neige. D’après les spécialistes le dernier kazakh à avoir fait un bonhomme de neige est mort a la fin du Paléolithique.
En soi cette première neige de la saison était plutôt une bonne nouvelle – sauf pour Thida qui rentre en hibernation au premier flocon – mais nous avions eu l’idée astucieuse de louer une voiture pour le week-end afin de profiter avec un copain français des derniers beaux jours pour visiter un canyon et des lacs de montagnes à 300 km d’Almaty. Finalement on aura profité des premiers pires jours pour le faire. Rien que le trajet en bus pour aller chercher la voiture au garage ça aurait suffit pour valider notre week-end mais comme tout le monde nous avait conseillé de reporter le programme à des jours meilleurs on s’est logiquement entêtés. En fait la neige était surtout tombée sur la ville, donc passée la banlieue on a retrouvé une route plus praticable et on a eu la chance de pouvoir visiter le canyon de Charyn, d’habitude bondé sans croiser un chat, à -25 c’est sur que même le scrabble dans le salon te semble intrépide, ni payer les droits d’entrée vu que le gardien était pas aussi bête que nous pour venir se geler, ni voir les habituels sacs plastiques et cannettes de bières qui étaient cachés sous la neige.
Grisés par ce premier succès on a décidé de pousser la route jusqu’aux lacs de Kol Say, tout au bout d’une longue piste de terre. Evidemment, dans chaque village que l’on croisait tous les hôtels étaient fermés mais on nous assurait que dans le prochain il y en avait un magnifique ouvert, pravda pravda, bien sûr on a rien trouvé du tout à par une poule congestionnée, couchée sur la route, pas encore tout à fait morte de froid, mais déjà boulottée par un groupe de pies, la nuit tombant on a commencé à regretter un peu de ne pas avoir suivi les conseils avisés donnés à Almaty, on s’imaginait déjà finir comme la poule alors faute de mieux on a fini par frapper à la porte de la mosquée d’un petit village en espérant une aide, un réconfort, un début d’hospitalité. On a eu mieux que ça.
On tenait notre grande rencontre humaniste, mélange des cultures, choc des civilisations, fins des clichés, amitié interreligieuse : on est tombés sur six ouvriers ouzbeks très accueillants qui venaient de finir la décoration de la mosquée et qui fêtaient leur départ le lendemain. On a partagé avec eux le repas du soir, ils nous ont laissé gagné aux cartes, on leur a traduit Joe Dassin et peu à peu, tasse de thé après tasse de thé une harmonie universelle nous a réuni tous les neufs dans cette petite alcôve d’une mosquée perdue dans les neiges kazakhstanaises. Moi qui décriais les récits grandiloquents de voyageurs douteux partant toujours comme des parasites sur la trace d’autres voyageurs bien plus intéressants et qui montaient en épingle la moindre rencontre dans une prose dégoulinante de bons sentiments je me sentais pris de remords, et alors que les étoiles dans la nuit glacée venaient rehausser la silhouette massive de coupole de la mosquée de reflets dorés comme autant de cristaux de neige étincellants, à mon tour, mon esprit fut saisi de cette inspiration poétique que seuls connaissent ceux qui ont vraiment connu le dénuement du voyage, cette catharsis bienfaisante qui libère notre jugement de toute œillère. Voici donc en toute modestie un petit sonnet, nés cette nuit-là. Ca s’appelle « Salauds d’Ouzbeks »
« Salauds d’Ouzbeks »
« Parfum des thés d’Orient, flottant dans la nuit noire
Guidant nos pas perdus, aux portes de votre mosquée
Portes à nous ouverte, quand nous quittait l’espoir
Quand toutes les babouchkas nous voyaient congelés
Ô vous gentils ouzbeks, Ô vous artistes bénis
Modestes artisans, fans de « l’été indien »
Vous nous avez offert, le pain, le thé, le lit
Et rien que pour cela, fait aimer Joe Dassin
Cette nuit était magique, mais vous l’avez gâchée
Quand après le repas, où vous servîtes d’ailleurs
Un ragoût de chatons, que j’avais apprécié
Vous eûtes le culot, sans même un ton railleur
De me dire tous en coeur que j’étais Pierre Richard !!
Tout comme ma proprio, une semaine plus tard… »
Si quelqu’un connaît le mail du rédacteur en chef du « magazine littéraire » évidemment ça m’intéresse.
Après ça on a vu les lacs, très jolis, et on est rentrés se coucher à Almaty, maintenant il faut que je trouve l’adresse d’un coiffeur bilingue et je suis sauvé.
A+
Nicolas
Tout va bien, la magie du dépaysement ne s'est toujours pas essouflée, chaque journée, à chaque coin de rue nous réserve encore son lot de surprises. Il nous faut bien entendu remercier chaleureusement l'infinie complexité de la langue russe et du caractère kazakh, tout comme notre incommensurable incapacité à retenir plus de 3 mots nouveaux par jours, ainsi que l'inépuisable capacité d'imagination d'Eurosport 2 sans qui nous serions depuis longtemps déjà blasés et peut-être même impatients de rentrer en France, mais non, aujourd'hui encore nous sommes comme deux petites fleurs bleues qui s'émerveillent à la moindre découverte.
Hier par exemple, alors que j'étais comme 3 fois par semaine relégué dans le salon tandis que Thida donnait son cours de français à Olga la-fille-qui-sourit-jamais, je zappais paresseusement d'un programme de géopolitique caucasienne à un débat littéraire sur l'héritage pouschkinien, le tout en russe, bien entendu, lorsque par hasard je suis tombé sur eurosport 2, chaîne que j'évite à présent soigneusement de regarder pour conserver une capacité de travail correcte. Malheureusement pour moi je suis tombé sur un programme extraordinaire où se succédaient des compétitions plus incroyables les unes que les autres. D'abord un résumé des jeux asiatiques, avec la finales Inde-Pakistan de "l'épervier", notre jeu d ecole primaire où l'on doit toucher l'adversaire pour l'éliminer. Les regles etaient un peu plus complexes, mais c'était assez sympa de voir 14 barbus en survêtement polyamide série limitée "années 80" jouer à touche-touche devant un public deux fois plus excité que lors de la Finale France-Brésil à la coupe du monde. Bon jusque là rien finalement de très étonnant. Mais juste après ça Eurosport 2 (Que Dieu te protège pour 5 générations) a enchainé les résumés des concours de "L'homme le plus fort du monde" et "le meilleur bucheron du monde". C'est impressionnant : vous avez 30 hulks pas verts qui font des sprints avec 420 kg sur les épaules, qui soulèvent des haltères de 300 kg, c'est incroyable le nombre de veines qui peuvent sortir de notre cou quand on fait un effort violent. La finale des bucherons était bien marrante aussi mais sans trop de suspense, le néo zélandais a gagné les trois épreuves : Scie, Hache et Tronçonneuse : 18,4 secondes pour couper à la hache un tronc de 50 cm de diamètre, c'est à peu près le temps qu'il m'aurait fallu pour soulever la hache vu comme elle était grosse. Le candidat français a été lamentable, mais il faut reconnaître pour sa défense que les tronçonneuses ressemblaient plus à des Harleys sans roue qu'à nos tronçonneuses de grand-père, il a du être surpris. Après ça Eurosport 2 ( Que le très haut te conserve au sein du bouquet satellite ) a diffusé un parcours du combattant japonais très rigolo, du genre dont on rêve quand on est gamin, avec des poutres jetées au dessus de piscines, des filets à remonter, des échelles, des tyroliennes etc etc et une énigme à la père fouras où il fallait résoudre une addition qui était exactement : 85 + 38. Vu le temps mis pour répondre et le taux d erreur, je ne comprends pas que le Japon soit si performant dans les nouvelles technologies, mais au moins ça ma fait éteindre la télé, bien qu'Eurosport 2 ( que le tout puissant t'accorde pour des siècles de nouveaux sport aussi intéressants) annonçait pour la suite une rétrospective curling, mais il faut être raisonnable.
De ce côté donc, je n'ai pas encore fait le tour.
Côté russe pareil, Thida fait preuve de trésors d'ingéniosité pour ne pas faire ses devoirs et ne pas venir en cours, si elle consacrait ne serait-ce qu'un quart de cette énergie à juste apprendre ses verbes, elle pourrait déjà traduire Tolstoï pour la Pléïade. Moi ça va, comme la prof est une grand-mère, comme d'habitude elle est tombée amoureuse de moi.
Côté Almaty, pareil aussi, les conducteurs kazakhhs et le confort des autobus ne cessent de nous surprendre. Thida a maintenant pris l'habitude comme ses compagnons de voyage de jouer du genou et des coudes pour se faire une place : pas de pitié, ni pour les grand-mères ni pour les enfants. Si jamais elle se comportait comme ça dans les bus des TCL, Sarkozy l'aurait déjà reconduite à la frontière. L'espérance de vie du piéton kazakh est à peu près la même que celle d'un hérisson laché sur l'autoroute du soleil un jour de chassé-croisé des vacances en juillet, mieux vaut donc prendre un véhicule pour se déplacer, et tant qu'à faire le plus gros possible. Outre l'avantage de la taille, l'autobus, vu son taux de remplissage, si on se situe bien en arrière nous protège des chocs et des impacts violents par la capacité de compression de 60 corps humains écrasés contre une vitre. Si le premier gagne un séjour de 6 mois en rééducation, le 61ème ne sentira rien. L'autre stagiaire FLE qui bosse avec Thida a été victime de ce phénomène. Elle avait pourtant minimisé les risque, en se plaçant derrière la vitre qui sépare les banquettes des escaliers de la porte arrière, elle avait donc face à elle une vitre, et derrière elle deux personnes assises. Malheureusement ces deux personnes étaient des baboushkas nourries depuis le berceau au plof et à la graisse de chameau. Quand le bus a pilé, les deux grands mères ont été soulevés et projetées contre la stagiaire qui a été à son tout projetée contre la vitre, puis écrasée par les deux baboushkas. Sachant qu'un enfant projeté à 50 km heure fait le poids d'un éléphant, la stagiaire a reçu sur le dos l'équivalent d'un troupeau de bisons... Aujourd'hui elle va bien, elle a juste tendance a se jeter dans les fossés quand un bus passe près d'elle.
Demain donc : Ouzbékistan, nous allons retrouver nos amis artisans croisés il y a un mois dans une mosquée, ces imbéciles qui me comparaient à Pierre Richard, je suis très content.
Bonne année à tous
Bises
Nicolas
Aujourd’hui que j’ai recouvré suffisamment de forces après notre semaine dans le congélateur ouzbek voici quelques nouvelles de notre séjour.
Les semaines passant et malgré ma tentative du mail dernier il faut reconnaître que l’enthousiasme des premiers jours a laissé la place à un quotidien plus tranquille, surtout depuis que notre volonté de sortie se heurte aux -10°C de moyenne et au verglas de la rue contre lesquels nos gènes européens ne peuvent rien sinon nous obliger à sortir déguisés en bibendum. Si à la rigueur on peut lutter contre le froid, la glace est un adversaire autrement plus redoutable auquel les kazakhstanais ont trouvé d’ingénieuses réponses : j'avais déjà remarqué que les talons aiguilles incroyablement fins que portaient les filles leur conféraient un certain avantage pour cramponner le verglas et je me suis rendu compte récemment que les chaussure des garçons - un croisement assez horrible de santiags machos et de palmes à la Cousteau en simili cuir noir - avaient aussi un intérêt spécifique lié aux dangers du verglas en proposant une adaptation différente, quoique aussi efficace : la glissade contrôlée. Une plus grande surface au sol, alliée à un arcage naturel des jambes - héritage de siècle de cavalcades effrénées dans la steppe - confère une stabilité incroyable qui s'illustre chaque jour sur les trottoirs des rues en pente de la ville dans de longues glissades surprenantes de maîtrise et de facilité. Toujours soucieux de m'intégrer j'ai donc moi aussi voulu adopter cette méthode virile et courageuse, en commençant par des petites glissades d'un ou deux mètres dans des quartiers peu fréquentés, mais avec mes chaussures de montagnes, un centre de gravité très élevé et un manque d'expérience navrant, j'ai mis plusieurs jours à pouvoir m'asseoir sans grimacer après ma première tentative, et je regarde à présent avec un intérêt nouveau mêlé de jalousie ces horribles bottes de fourrure ou cuir à talon des midinettes d’Almaty.
A part ça l'Ouzbékistan est un pays magnifique peuplé de mosquées et de vieux bus, ce fut un voyage merveilleux qui, contrairement à tous les français rentrés dans leur famille pour les fêtes et revenus la tête basse, nous a fait au contraire retrouver avec plaisir et soulagement le Kazakhstan. Nous étions partis avec trois objectifs : voir la légendaire Samarcande, retrouver ces salauds d'Ouzbeks qui m avaient pris pour Pierre Richard et leur offrir un CD de Joe Dassin pour les remercier de leur accueil, et profiter du climat de ce pays aux hivers d'une douceur enviée par ses voisins. Finalement nous avons vu Samarcande, on a offert le CD aux rigolos, et on est presque morts de froid.
Si en France et dans tous les pays d'Europe cet hiver est un des plus chauds de mémoire d'homme, si vous n'avez pas pu ressortir vos luges ni éclater les lunettes de vos amis à coups de boules de neiges fourrées au caillou, si à Almaty aussi il ne fait que -15 ou -20 chaque nuit (« il n'y a plus d'hiver » disent aussi ici les vieilles babouchkas) c'est parce que le froid s'est consacré uniquement cette année sur l'Ouzbékistan.
On nous avait dit "Il fait toujours beau à Tashkent", il a plu à Tashkent
On nous avait dit "Il ne neige jamais à Samarcande", il neigeait à Samarcande en sortant du taxi, il a neigé toute la nuit, et sans mes entraînements aux glissades je ne serais pas là à l'heure qu'il est.
On nous avait dit "Il ne neige jamais à Boukharra, et il fait plus chaud qu'à Samarcande", il a neigé le jour de notre arrivée et on a du enfiler toute notre provision de tee shirts et de pulls.
On nous avait dit "Khiva c'est super et il ne neige jamais...", il faisait -15°C à Khiva, les gamins faisaient de la luge, et tout était fermé.
On nous avait dit "Oulala, vous allez voir, vous allez pas oublier votre voyage", ça...
Pour ceux qui ont du accompagner dans leur enfance une grand-mère férue des châteaux de la Loire dans d'interminables voyages du troisième âge à Chambord, Chenonceaux, Vaulx-le-Vicompte, Versailles, Chantilly, encore Versailles... pour ceux qui ont suivi des parents plongés dans leur guide à la recherche du 324ème calvaire breton des vacances, pour ceux qui ont du supporter les visites des églises et abbatiales néogothiques alors que dehors il y avait le soleil et la mer, pour tous ceux-là il ne sera pas difficile de comprendre ce que fut ce voyage au coeur de la route de la soie, sauf qu'ici c'était soit la 54ème mosquée soit tu meurs de froid.
On a donc instauré un programme de survie rigoureux faisant alterner minaret, madrasa ou mosquée et restaurant, café ou hôtel. Nous sommes aujourd'hui des spécialistes de la Transoxiane et de la brochette de moutons. Je dois reconnaître que c'était quand même magnifique, je l'admets. Ca n’empêche pas que le jour où, soucieux d'économiser quelques dollars pour s'offrir quelques visites supplémentaires indispensables, nous avons décidé de voyager de nuit, nous sommes tombés sur un bus non chauffé. Il faut en effet savoir que tous les bus roulant dans ces pays viennent d'Europe, c'est comme le cimetière des éléphants : après une longue vie obéissante et besogneuse au service des transports scolaires et des voyages touristiques, quand il sent ses forces l'abandonner et que ses passagers pourraient être en danger, l'autobus européen quitte sagement ses compagnons sans un mot et suit une route secrète connue seulement de son peuple jusqu'en Ouzbékistan où il finira son existence après quelques milliers de kilomètres supplémentaires dans un fossé, le long d'une piste de terre, le moteur achevé à coup de clés à molette. Donc quand on prend un bus en Ouzbékistan c’est un peu une madeleine de Proust, avec un peu de chance on peut même retrouver le chewing-gum qu on avait collé sous le siège du fond… mais c’est aussi prendre des risques pour pas grand choses.
Dans l'échelle du masochisme on peut déterminer plusieurs stades. Le premier, tout à fait méprisable consisterait à passer la nuit dans un lit dans une maison chauffée en France après un bon repas avec des amis, plus loin on trouve visiter un dépôt de bouteilles de gaz chiite à Bagdad, faire la sieste dans un bassin d'alligators de Floride à la diète depuis une semaine, dormir dans un village Texan avec un tee-shirt black power, ou vendre des Big Mac dans le sud de l'Afghanistan en plein ramadan… mais encore plus loin, tout en haut de la liste pire que tout ça il y a : dormir en hiver dans un bus non chauffé filant vitres ouvertes sur la steppe enneigée ouzbek – ce qui est bien pire que de jouer à l'abbé pierre dans la neige puisque le vent renforce la sensation de froid.
On a donc passé 8h blottis dans nos duvets, habillés comme pour visiter des amis manchots en terre adélie, s'appelant de temps à autre pour être sûrs de ne pas s'endormir, grattant le centimètre de glace collé à la vitre pour voir si le soleil n’avait pas fini par se lever. A un moment on a vraiment pensé que notre voisin était mort de froid mais il a été pris d'une quinte de toux tuberculeuse qui nous a rassuré sur sa survie, du moins sa survie immédiate. Le jour qui suivit fut inoubliable : arrivés frigorifiés à l'aube dans une ville déserte, frappant aux portes fermées des hôtels on a trouvé une guest-house qui chauffait les chambres avec des plaques de cuisson électrique. Passées 3h comateuses sous une pile de couvertures on s'est tapé quelques mosquées qui manquaient à notre collection - je me demande pourquoi Panini a pas sortie des albums à vignettes Châteaux de la Loire, Eglises toscanes ou Mosquées ouzbeks , ça ferait un malheur - ensuite on est retournés à la guest-house à 16h, dodo jusqu'au lendemain et retour direct à Almaty après 3 bus chauffés et 40 heures de voyage.
Pour cet été on hésite entre Tadjikistan en bus et retour en France et deux semaines au Lavandou.
Bises à tous
A+Nicolas