Quand j'étais petit et que je devais avoir 10 ou 11 ans, je ne
rêvais que d'une chose, c'était monter au Mt Blanc. Ahlala,
gravir le Mt Blanc et fouler le toit de l'Europe, du monde, de l'univers...
C'aurait été devenir quelqu'un d'autre, faire partie de
ces surhommes qui ont triomphé de l'altitude et atteint le plus
haut objectif que l'on puisse -à 11 ans- espérer...
Mais voilà, je ne connaissais pas le chemin, je n'avais encore
jamais du mettre de crampons, et un guide ça coutait cher. Il
fallait attendre.
Après j'ai fait des courses avec les guides de Peisey, les stages
du CAF à la Bérarde, et ensuite ce furent les premières
courses autonome avec Nedveds Alain, Vincent et Marc, et Jean-Philippe
Pascal qui mériterait bien aussi le titre de Nedved. A partir
de là le Mt Blanc perdit de son attrait, la priorité n'était
plus un sommet symbole mais un sommet technique, je voulais surtout
progresser. Le Mt Blanc, tout le monde et n'importe qui peut y aller,
alors que la Vanoise et les Ecrins sont pleins de sommets sauvages et
de voies inconnues tout indiquées pour vivre d'authentiques aventures
nedveds. Le Mt Blanc, ce gros tas de neige pour alpinistes d'un jour,
ce n'était plus pour moi, j'avais mieux à faire ailleurs,
tout au plus je pouvais le garder "en conserve" pour mes vieux
jours, lorsque je ne serai plus capable de gravir autre chose...
Et puis voilà, aujourd'hui j'ai 26 ans et les vieux jours sont
là, tout bien considéré je me fairais bien l'éperon
de la Tournette, où les arêtes de Bionnassay ou de l'Innominata...
Ou alors je prendrais bien ma voile pour aller décoller de la-haut...
Ce qui me permettrait de réaliser mon vieux rêve de 11
ans sans renier l'esprit de mes 18...
En juillet / août tout le versant N du Mt Blanc est interdit de
vol aux parapentes, parce que réservé aux hélicoptères
sans cesse en train de tourner dans le coin. Pour décoller du
sommet, il faut donc y aller en septembre. D'un côté ce
n'est pas plus mal l'aérologie est peut-être plus calme,
mais d'un autre c'est embêtant, l'été est déjà
fini, on est crevé et on en a pour notre compte, y'a plus d'neige
c'est plus que d'la glace, bref il faut se motiver.
Lundi 15 septembre. Hier j'ai accompagné les base-jumpers au
Mt Aiguille et j'ai décollé du sommet, c'est la forme.
Il fait beau. Mardi 16: la météo prévoit du grand
beau de partout, et surtout quasi pas de vent à toutes les altitudes.
Eh eh... En plus de ça j'ai besoin de faire un tour en Haute-Savoie,
pour porter mon parapente en révision à Annecy, et y'a
un bijoutier à Chamonix qui attend ma visite pour passer sa commande.
Bon, ça semble clair, le Mt Blanc c'est pour maintenant !
Jeudi 18: départ de Lyon, visite des bijoutiers à Annemasse
et La Roche-sur-Foron le matin, Mc Do à Bonneville à midi,
et on enchaine avec les bijoutiers de Sallanches et de Chamonix l'après-midi,
ouf la journée est bien remplie! Le soir je dors dans un gite
à Argentière, je mange tout seul comme un vieil ours dans
mon coin parce que la table en face c'est des parisiens, 50 ans, des
gros ventres et des grosses joues, mais des aventures à raconter
qui fairaient pâlir d'envie Henry de Monfreid lui-même:
- La Tanzanie est vraiment très bon marché en ce moment.
- Tout-à-fait, et il faut ABSOLUMENT aller voir le VIEUX Pékin...
Je crois d'ailleurs que nous aurons été les DERNIERS à
le voir, avec tout le tourisme maintenant...
- Certainement, mais tout cela est bien éprouvant. Une petite
croisière en catamaran, c'est toujours bien agréable...
mais les équipages sont toujours si déplaisants!
Le lendemain je vous parie qu'ils allaient au téléphérique
du Brévent et qu'ils en raconteront:
- Tout de même, la haute-montagne, quels paysages, quelle altitude...
- Ah certes le danger est grand, mais quelle récompense!
Moi je vais me coucher.
Vendredi 19: je vais monter au refuge du Goûter aujourd'hui,
parce que pour samedi c'est complet. C'est d'ailleurs le dernier WE
d'ouverture du refuge, ainsi que du Tramway du Mt Blanc. Je passe suffisamment
de WE à travailler sur les salons dans l'année, je peux
bien m'octroyer un petit vendredi de vacances. Je vais me garer aux
Houches et je fais mon sac. Attention, le parapente pèse son
poids, et ça fait deux mois que je n'ai pas dépassé
les 3000 mètres d'altitude, il faut se limiter si je veux assurer
la montée. Je prends le strict minimum et j'enlève tout
le superflu (crème solaire, téléphone, appareil
photo, housse de la voile, portefeuille, clés, casque, couteau...).
Allez c'est partit! Téléphérique de Bellevue, dernier
tronçon du TMB, les p'tits trains à crémaillère
à flanc de montagne j'aime trop, et me voici au nid d'aigle.
Je pars tranquillement sur le chemin, maintenant et jusqu'à demain
matin il faut s'économiser. Il est plus ou moins midi quand j'arrive
au glacier de Tête Rousse, c'est le moment de sortir le taboulé
au poulet. Ah ouais mais j'ai pas pris mon super couteau-cuillère-fourchette-ouvre-boite,
comment c'est que je vais faire pour le manger? J'essaie avec la main,
la semoule me glisse entre les doigts. J'essaie de prendre un petit
caillou plat ça marche pas non plus. Ah mais si j'ai trouvé
j'ai qu'à découper le couvercle pour en faire une spatule...
putain ça c'est du plastique, indéchirable! Je mets des
grands coups de piolet et je finis tant bien que mal par réussir
à le couper en deux, en repliant je peux à peu près
mettre du taboulé dessus et me l'enfiler dans la bouche. Bon
voilà le repas est fini, je remonte le glacier, et maintenant
il va falloir traverser le fameux couloir-où-y-a-toujours-des-accidents-à-cause-des-pierres-qui-dégringolent...
Effectivement ça n'arrête pas! Tout le monde se met au
bord et quand on voit que 200 mètres au-dessus ça a l'air
calme ça veut dire qu'on a 5 ou 10 secondes de marge, on se dépêche,
on court et voilà on est de l'autre côté et on laisse
les cailloux redégringoler pendant 5 nouvelles minutes.
Après c'est la remontée tranquille de l'arête jusqu'au
refuge du Goûter. Petits pas d'escalade en I sup, belle vue sur
la face N de Bionnassay, il y a deux trois parapentes dans le ciel,
apparamment ça vole tranquille. Je rencontre un guide / moniteur
de parapente qui monte avec son client, demain ils décolleront
pareil du sommet en biplace, cool je ne serai pas seul.
3800 mètres. Au refuge... y'a du monde! Des anglo-saxons, des
scandinaves, plein de gens de l'est, des italiens, des français
aussi, il sont tous faciles à reconnaître. Repas à
18h, un petit dessin nedved dans le livre d'or du refuge, passage aux
toilettes les plus crades que j'ai jamais vu, et c'est partit pour une
abominable nuit, ça ronfle, il fait chaud, on est serré,
j'ai mal à la nuque, impossible de dormir.
Samedi 20: 3h, ouf, c'est enfin l'heure de se lever. Petit déjeuner
dans la cohue de tous les gens qui se préparent et je me retrouve
vite dehors dans la nuit noire à éclairer les pieds de
celui qui me précède dans la trace. Il a réneigé
récemment et ça cramponne bien, une ou deux étoiles
filantes traversent le ciel, on arrive au dôme du Goûter
sans trop s'en rendre compte. Pas de fatigue particulière, ça
respire normalement, parfait on continue. On dépasse le refuge
Vallot et la lumière de l'aube arrive, j'éteinds la frontalle
au niveau des bosses. Ca y est le ciel commence à s'enflammer,
le cône d'ombre du sommet en direction de St Gervais est énorme,
ça cramponne toujours bien, par endroit la pente est quand même
fuyante je me concentre, de temps en temps un petit arrêt pour
reprendre son souffle. Et puis ça monte tranquillement, l'arête
s'applatit, encore une centaine de mètres... une cinquantaine...
encore quelques mètres... et c'est le sommet !
Bon et ben je suis bien content, j'ai du mettre 5h ou 5h30 depus le
refuge, le temps normal, je suis vraiment hyper relax pas de fatigue
je me suis bien économisé et je me dépêche
de regarder le vent, c'est S/SE, bon okay pourquoi pas. Le panorama
est pas vilain mais rien de très nouveau de ce côté
là, le guide parapentiste et son client arrivent et on parle
ensemble du plan de vol, ça c'est le plus important. Décollage
face à l'Italie bien sûr, lui il prendrait bien en direction
du Mt Blanc de Courmayeur pour tourner tout de suite à gauche
et se retrouver devant le Mt Maudit, ouhla ça me semble juste
moi je prendrais plutôt à droite sous le sommet pour aller
tourner vers le Goûter. Surtout il m'explique que les 20 km/h
que l'on a ici au sommet vont vite se gommer en descendant, pas trop
de risque de se retrouver sous le vent au-dessus du glacier des Bossons
donc. Par contre risque de foehn plus bas au-dessus de Chamonix...
Allez on installe les voiles, je bourre tout dans ma brave sellette
rescotchée de partout, premier essai de décollage, woula,
ça gonfle vite mais ça part vite aussi sur le côté,
j'ai pas le temps de suivre et ça retombe par terre. Bon, deuxième
essai pas mieux, en fait c'est pas facile de courir, la pente est pas
très forte et la neige ça aide pas. Le guide vient se
mettre devant moi, troisième essai, il me tire carrément
par la ventrale pendant la montée de la voile, ah ca va mieux,
allez on s'entête, droit devant, ça piétine, ça
piétine et ça s'envole! Yes!!! Zoupla je tire à
droite, je passe sous le sommet et je me retrouve au-dessus de l'arête
des bosses encombrée de toutes les cordées qui ont commencé
à redescendre, eh eh désolé les gars pour moi c'est
la belle vie ! J'essaie de rester un peu en dynamique au-dessus des
bosses mais ouhla ça bouge et je n'ai pas trop envie de fanfaronner
non plus, je continue en direction du Goûter. Survol du dome et
de tout un tas d'autres cordées, ah la je marque des points,
bien assis comme je suis dans mon fauteuil volant pendant que les autres
se font mal aux genoux en dessous. Je continue jusqu'au refuge et à
l'Aiguille du Goûter, je la dépasse, méga vue au-dessus
de sa face enneigée et toute striée, je vire au-dessus
du glacier des Bossons et je met tranquillement le cap sur l'Aiguille
du midi. Pendant ce temps le biplace a décollé, évidemment
il reste 5 minutes à zéroter au-dessus des bosses, il
frole le Mt Maudit, passe le Tacul et disparait dans la Vallée
Blanche.
Pour moi ce n'est pas dégeu non plus, putain j'ai trop de gaz
sous les pieds, je passe l'Aiguille du midi, tiens la-dessous c'est
l'arête des papillons (un grand souvenir avec Jean-Philippe...),
je passe devant le glacier de l'Aiguille du Plan, ahlala, et je tourne
un peu avant l'Aiguille de l'M (la voie Couzy toujours avec Jean-Philippe,
encore un sacré souvenir...).
Avec le guide on s'est donné rendez-vous à l'attéro
de Chamonix, je vais m'y mettre à la verticale pour voir un peu...
et je me retrouve scotché, ça brasse et ça avance
pas, pourtant en bas tout à l'air calme, okay capito, je suis
dans la couche de foehn! Pas envie de m'embêter la dedans, je
mets les gaz vent arrière et je file direction les Houches, je
n'ai plus tellement d'altitude mais ça avance vite, je suis trop
court pour rejoindre l'attero du lac mais j'ai juste là devant
moi l'aire d'arrivée de la piste verte, celle du Kandahar. Euh,
y'a juste une ligne à haute tension au-dessus, il va falloir
viser juste entre ça et les arbres qui sont devant. Approche
en 8, virages serrés et rapprochés, j'effleure la cime
des arbres et je me pose... relativement rapidement, l'herbe est encore
pleine de rosée, mes vieilles Asolo ont la semelle toute lisse,
zip je slide carrément l'herbe, je glisse encore un peu et je
finis confortablement posé sur les fesses, la ligne électrique
un peu devant moi, décidement ça fait plusieurs fois de
suite que mes attérissages ne sont pas très académiques!
Seulement voilà, je viens de me faire en 40 minutes la descente
du Mt Blanc et je suis exactement à 5 minutes à pied du
parking de Bellevue où j'ai laissé la voiture, c'est trop
fort. J'en connais d'autres qui n'arriveront au parking qu'en fin de
journée les jambes moulues, la gorge sèche et le le dos
erreinté...
Retour à la voiture, je range la voile et le matos, j'ai une
bonne andouillette qui m'attendait dans le coffre, je fête ma
91ème course en montagne et mon 118ème vol en parapente.
Pendant ce temps le guide arrive pour venir chercher sa voiture qu'il
avait lui aussi laissé là, après le Tacul ils ont
descendus la mer de Glace mais ça a été un peu
turbulent et ils se sont posés à Chamonix, même
joie pour lui et son client d'avoir réussi le vol évidemment.
Bon la matinée n'est même pas terminée, je démarre
et je roule jusqu'à Talloires pour laisser ma voile en révision,
elle l'a bien mérité. Après je continue et j'arrive
à 13h au Bourget du Lac, eheh je m'arrête à l'aéroport
et je vais manger tranquillement au club de parachute. L'après
midi je remonte à 4200 mètres, sortie du Pilatus face
au Mt Blanc, c'est le pied! Je me fais 2 sauts et je rentre à
Lyon.
Le lendemain c'est dimanche, piscine le matin pour se faire du bien
aux genoux et skate-park l'après midi pour s'y faire du mal.
Maintenant j'irais bien me faire pareil le Mt Rose, les Grandes Jorasses
ou l'Aiguille Verte... Quand à ceux que ça intéresse
de monter avec un guide et descendre en biplace, le contact c'est Eric
Gramond - 04 50 53 18 99 - 06 08 01 27 34 - et ça vaut dans les
800 €.