Nedved Nico aux Bans |
.by Nedved
Nico
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Les Bans : Pilier Nord-Est.
Jour 1
" Bon, tu peux prendre par la cheminée après le gendarme,
mais c'est dix fois plus beau quand tu gardes le fil du pilier. Là
t'est vraiment accroché à la paroi. En-dessous tu vois le
haut du gendarme et puis après, hop : le glacier de la Pilatte
; 300m plus bas. C'est pas beaucoup plus compliqué et ce serait
dommage de monter aussi haut pour finir par une cheminée en caillasse.
"
Pas beaucoup plus compliqué, pas beaucoup plus compliqué,
peut-être mais pour nous ça faisait quelque chose, la première
course en IV+ tous seuls, et en tête avec ça.
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On s'est décidé à décider une fois au refuge,
pas la peine de se mettre la pression pour rien, de toute façon
on est en forme on verra bien. Le temps de finir le melon pas mûr,
le sandwich pas frais, l'eau pas froide et nous revoilà partis
de la Bérarde, direction le refuge de la Pilatte, tout au fond
de la vallée. D'abord 5 km à plat, on dépasse successivement
les Rouies, le Coolidge et l'Ailefroide, avant que le vallon ne vienne
buter contre le cirque glaciaire de la Pilatte. De là le sentier
traverse à droite et remonte les contreforts du Gioberney jusqu'au
refuge.
Depuis la terrasse, nous avons tout loisir d'observer le sommet, c'est
le plus haut du cirque, côté droit, de grandes lames de roches
plantées dans la glace, un alpamayo en pierre. Du sommet une lame
plus longue que les autres : le pilier Nord-Est, 450m de haut, à
droite le couloir Nord, tout à gauche, l'arête de la voie
normale (III). Le sommet : un longue crête ouvragée horizontale
en rocher Oisans*, relativement sain.
Dans le livre d'Or du refuge : des récits soignés de montée
au col de la Pilatte, à la pointe du même nom, aux Bufs
rouges, des dessins d'enfants, des horaires de montées au refuge,
des blagues de l'UCPA. Parfois, griffonné au crayon papier, venant
du CAF polonais ou d'Italie, juste " couloir Nord " ou autre
voie affreuse avec pour commentaire : " formidable, pas vu beaucoup
soleil, arrivedervci ".
Mais du pilier N-E, pas une ligne. Pourtant il paraît que deux personne
y sont montées aujourd'hui. A tour de rôle nous faisons le
guet. Vers 4 heures, effectivement, une cordée arrive, portant
encore le baudrier, chaussons d'escalade sur le sac
Négligemment
j'engage la conversation.
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" -Alors vous venez du pilier N-E ?
-Oui.
-Sympa non ?
-Euh, oui.
-Le rocher est bon ?
-Oui.
-On pensait le faire demain avec mon copain.
-Ah ?
-Et c'est bien équipé ?
-Oh oui, 10 pitons
-10 pitons par longueur ? Mais c'est carrément bien équipé
!
-Bah non, 10 pitons c'est tout. "
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10 pitons pour 400m, à 40m la longueur ça fait, ça
fait : un piton par longueur
" Hein Pablo, si je les ai vu ? Non, non, eux ils sont juste montés
au col. Ils avaient des chaussons ? Tiens c'est curieux ? "
De toute façon , du IV on en fait tranquillement en falaise, même
en grosse chaussure, on y arrivera, au pire même on prendra la cheminée,
qu'est-ce qu'il en saura l'autre
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JOUR 2
3h30
Bip bip, bip bip
Je secoue l'épaule de Pablo, sans parler nous commençons
à nous habiller dans le dortoir, les choses sérieuses commencent...
La lampe frontale à portée de main sur l'étagère,
les chaussons plastiques, juste sous l'échelle, le temps d'avaler
le thé et à 4h00 on sera déjà dehors. Autour
de nous tout le monde dort encore, sans doute des cordées pour
la voie normale ou le glacier de la Pilatte. Ceux-là le gardien
viendra les réveiller, nous nous avons pris une montre, on part
comme des voleurs, incognito, sans tambour ni trompette, et nous serons
déjà loin quand il ses réveil
" Debout là-dedans, il est 4h30 : Les Bans, les Bufs
rouges et la Pilatte, debout !
"
JOUR 2
4h31
(heure d'été)
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Et merde, oublié de régler la montre, j'suis trop con
En vitesse nous finissons de nous habiller au milieu du dortoir, les choses
sérieuses ont commencé sans nous, en évitant le balayage
intempestif des autres frontales nous nous réfugions dans la salle
à manger : le thé frémit, il est déjà
bu et tant pis pour les pains au lait, on a des caramels dans les poches.
Nous sommes dehors et seuls, c'est le plus important, même si les
autres ne sont pas si loin que ça
Au départ, le sentier traverse les barres rocheuses à l'horizontale
puis des câbles permettent de prendre pied sur la langue terminale
du glacier. Il va faire beau : les étoiles brillent dans le ciel,
la grande ourse se découpe sur l'arête de l'Ailefroide, j'ai
mal au ventre, le melon d'hier. Nous marchons vite, remontons la trace
qui serpent au milieu des séracs et des crevasses et nous arrivons
au pied du pilier à 6h30, le soleil est levé, les cordées
sont dispersées sur le glacier, nous avons rattrapé le temps
perdu.
A partir de là, je pense que quelqu'un d'autre devrait raconter
l'histoire à ma place : moi je ne me souviens que d'un rocher excellent,
d'un joli vide et de Pablo qui m'engueule parce que je ne pose pas tous
les points. Oubliés les 10 pitons, oubliés les chaussons
et la cheminée, la peur et la fatigue, oubliées
si
je me laisse emporter, je vais vous faire du Frison-Roche ; disons juste
que ce fut une escalade effectivement très agréable et élégante.
Puis, d'un coup, la pente se couche, et le sommet apparaît, Pablo
passe devant pour les dernière longueurs et à 11h30 nous
achevons les derniers caramels au sommet.
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Je n'ai pas souvenir d'une course plus agréable jusqu'à
ce jour
et pas encore d'un retour plus laborieux.
Il nous a fallu ensuite traverser toute l'arête pour rejoindre le
sommet principal de la voie normale. Longueur après longueur nous
avancions péniblement. Là-bas les cordées arrivaient,
s'embrassaient, mangeaient, prenaient des photos et redescendaient.
Quand nous sommes arrivés, toutes avaient rejoint le glacier, nous
nous sommes quand même embrassés, avons pris quelques photos,
cherché en vain un dernier caramel et commencé à
notre tour la descente. Entre une corde de 40m, la fatigue et la pratique
d'un itinéraire inconnu nous avons passé 4 ou 5h à
retrouver le bon passage, dissimulé entre le gros gendarme et un
feuillet de roche. Là il a fallu encore tirer des rappels, presque
pour rien, et finalement nous sommes arrivés au glacier, il était
19h. Entre nous et le refuge : plus personne, tout le monde était
déjà rentré à la maison. Encore descendre,
descendre, sans rien à manger, bientôt dans le noir, bientôt
avec les frontales et chercher, entre deux crevasses enjambées
allègrement, le maigre reflet des câbles tendus sur la paroi.
C'est peut-être là que nous avons pris le plus de risques,
fatigués, décordés sur le glacier, le nez en l'air.
Mais à 22h40 nous sommes arrivés à notre tour au
refuge, ravis et soulagés, à peine plus que les gardiens.
Dans la salle à manger, presque personne, juste un réchaud
qui luisait timidement et le visage d'un enfant** endormi sur les cuisses
de sa mère. Pablo voulait à tout prix continuer jusqu'à
la voiture, moi je me serai volontiers arrêté pour compter
mes ampoules (14), et la tension de la descente m'avait épuisé.
Finalement les gardiens sont venus à mon secours et ont su ramener
Pablo à la raison : ils nous ont fait la nuit à moitié
prix
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JOUR 3,
10h30
Adossés au refuge, contre les pierres à peine réchauffées,
nous finissons notre tasse de thé frémissant. Le soleil
levé depuis 3h réveille nos muscles courbaturés,
nous grimaçons d'aise. Autour de nous des randonneurs arrivent,
des cordées matinales redescendent du glacier ; les gens se croisent,
nous restons. En dessus, le pilier NE est là qui nous regarde,
complice. A côté de nous, assis près de sa mère,
un petit garçon nous regarde discrètement, curieux de ces
visages fatigués et marqués par le soleil
Je lui souris,
il se rassure et me fixe plus longtemps encore un peu gêné,
sans doute un petit alpiniste en herbe qui rêve de s'attaquer à
tous les sommets du coin. Sa mère me regarde à son tour
et nous échangeons un sourire discret ( ah Frison Roche
).
Lentement j'étends mes jambes sur la table et le garçon
aperçoit mes chaussettes qui ont conservé le souvenir de
mes ampoules. Alors, soudain, comme s'il nous reconnaissait, son visage
s'éclaire et il appelle sa mère : " Maman ,maman, j'en
étais sûr c'est bien eux les deux qui se sont perdus hier
et qui sont rentrés à onze heures du soir".
*rocher Oisans : dont on ne voudrait même pas pour combler un fossé,
de peur que le fossé ne s'effondre. Sinon demandez à un
chamoniard
**enfant : créature maléfique dont il faut se méfier
presque tout le temps
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