Mont Dolent, arête Gallet
by Nedveds Luc (texte bleu) et
Manu (texte noir).


Le Mont Dolent, c'est un sommet particulier. Il fait à la fois frontière entre la France, la Suisse et l'Italie : en France, il s'élève tout au fond du glacier d'Argentière. Côté italien, il y a sa voie normale qui remonte le glacier de Pré de Bar, et côté Suisse il offre encore deux faces entre lesquelles monte l'arête Gallet, un grand itinéraire classique d'alpinisme dont tous les topos disent le plus grand bien.

Samedi 28 avril / Dimanche 29 avril / Lundi 30 avril / Mardi 1er mai : Luc et moi avons quatre jours de grandes vacances, il faut les rentabiliser ! Luc descend de Paris vendredi soir et passe la journée du samedi en famille. Moi je vais au parachute et je saute avec Damien qui vient tout juste d'obtenir son B2, ah c'est chouette ! Le soir on mange chez Alain et Patricia avec aussi Nico, Adeline et Sabina, quelques révélations sur nos choix électoraux du premier tour montrent qu'heureusement la montagne nous rapproche plus que la politique nous divise et on va se coucher tous fébriles à l'idée que nous partons pour un si grand et si beau itinéraire de montagne : l'alpinisme on connaît, le ski aussi, mais après tout c'est notre première saison de ski de rando. Moi j'ai acheté mon matos cet hiver et j'ai réalisé seul quelques sorties pour m'entrainer en vue d'un tel objectif. Mais Luc lui à part une mini balade de rien du tout le 31 décembre dernier, il n'a strictement aucun entrainement alpin et le vendeur du Vieux Campeur semble un peu perplexe quand, en allant samedi louer une paire de skis et de chaussures, Luc lui annonce son programme. Ah mais si, Luc vient tout juste de réussir un circuit jaune à Fontainebleau, ça devrait donc faire l'affaire.

C’est vrai que le vendeur n’a pas dû croire à mes chances de succès. Dans son regard et dans sa voix, je suis passé du statut de novice qui n’a pas son matos, à celui de novice prétentieux qui s’attaque à une course trop difficile pour lui. Ca a donné à peu près ça :
- Alors, je vous loue quoi ?
- Ben, j’ai besoin de tout.
- Les skis, les chaussures, tout ! Et vous allez faire quoi ?
- L’arête Gallet. Une course sympa, pas trop difficile.
- Quand même, c’est un bon niveau ! Et t’as fait quoi cette saison ?
- Rien, c’est ma première course.

A posteriori, je fais le fier à bras parce que tout c’est bien passé, mais je le comprends. C’était pas gagné d’avance alors que mon seul entraînement, c’était les 39 blocs du circuit jaune du Diplodocus à Fontainebleau.

Dimanche matin départ ! On passe par Chamonix et le col de la Forclaz, on redescend sur Martigny, une petite erreur d'itinéraire par Champex et après quatre bonnes heures de route nous voici dans le Val Ferret suisse que l'on remonte jusqu'à la Fouly. Devant nous apparaît le Dolent, l'itinéraire va d'abord consister à remonter le glacier du Dolent que l'on ne voit pas, il est derrière la grande muraille rocheuse sombre qui va de la gauche au centre de la photo. Et après l'arête Gallet, ca sera celle qui monte de la droite vers le sommet, celle où est accroché un petit nuage. Il y a environ 2300 mètres de dénivellée d'écart, ouh ouh ça fait haut !

On se gare au parking et devant nous le glacier de l'A Neuve que domine le Tour Noir, une belle course déjà réalisée avec Jean-Philippe en traversée mais côté Argentière, là c'est chouette de voir l'autre versant, et puis j'ai déjà du le dire 1000 fois mais qu'est-ce que la montagne est belle au printemps, quand les sommets sont encore tout enneigés mais les vallées toutes vertes elles.

On fait les sacs et à 14 heures on se met en route. A peine un quart d'heure de marche et on chausse déjà les skis, il y a une grande combe à remonter, toute enneigée c'est bien pratique. On croise beaucoup de monde qui redescend de la voie normale, ces personnes nous confirment que les conditions sont bonnes : l'arête Gallet a été plusieurs fois parcourue, on avait effectivement vu une sortie sur C2C, et rien qu'aujourd'hui dimanche il y avait trois cordée dedans.

Cela dit pour nous tout reste à faire, et pour l'heure il faut monter au bivouac de la Maye du Dolent. Après avoir bien remonté la combe (qui va jusqu'au petit col Ferret) on la laisse de côté et on prend les grandes pentes à droite, sous le glacier du Dolent : c'est un peu plus raide et la neige est toute ramollie, en traversée ca glisse, et il y a une section où l'on déchausse et où l'on monte à pied skis sur le dos, en suivant les parties d'herbes et de rochers denneigés. On voit aussi plusieurs chamois, on repart à ski en traversée et au bout de trois heures on atteind sans trop de difficultés le bivouac altitude 2667 mètres.

C’est vrai qu’il n’y avait pas de difficultés techniques, mais je dois bien avouer que j’ai un peu craché mes poumons : 1000 mètres de dénivelés, ce n’est pas énorme même pour une première sortie ; mais avec 10 kilos dans le dos, c’est déjà une autre affaire.

Très particulier le bivouac : il ressemble à la capsule présurisée d'en engin lunaire ou d'un ballon stratosphérique, ou mieux encore à un module habitable sous-marin ou à un bathyscaphe, avec ses quatres hublots ronds et sa couleur orange... A l'intérieur c'est très confortable, surtout que nous sommes les deux seuls occupants et que nous prenons nos aises. A douze ou quatorze quand c'est rempli ca doit être une autre histoire. Il y a plein de matériel de cuisine, Alain nous a prêté son réchaud, on est monté avec plein d'eau et je vais en chercher encore plus là où ca coule le long des dalles de rocher sous le glacier, on peut donc cuisiner sans retenue. Au menu soupe aux champignons, Bollino, mouton avec flageolets et encore Bollino, plus fromage, pain et fruits secs, on se soigne bien, c'est que demain il faudra être en forme ! On note notre passage sur le livre du refuge et on se couche peu après 21 heures.

3 heures le réveil sonne après une assez bonne nuit, petit déjeuner et peu après 4 heures nous nous mettons en route. La neige est bien gelée et la pente un peu pentue alors c'est plus commode de monter en crampons skis sur le dos. Luc attache n'importe comment un de ses crampons, il le remet en place mais comme a son habitude avec de grands mouvements de bras et le crampon vole dans une grande parabole trois mètres plus bas, heureusement il se fige toutes pointes devant dans la neige.

Je confirme avoir mal attaché mes crampons mais je n’ai pas le souvenir de les avoir envoyés en l’air. Si je suis maladroit, ce que je conteste malgré ce que pensent tous ceux que je connais, Manu, lui est Marseillais.

Après ca on reprend notre progression en marchant doucement, fréquents petits arrêts pour souffler et on arrive en haut du glacier du Dolent vers 3000 mètres en même temps que l'aube se lève.

Il y a le Grand Combin qui se détache nettement dans le paysage, on reconnait aussi le Mont Vélan sur le côté.

On passe plusieurs crevasses larges mais assez bien bouchées et on laisse le glacier pour monter dans une petite pente de côté et on prend ainsi pied sur une petite arête enneigée où voici Luc :

La petite arrête enneigée nous amène au glacier suspendu du Dolent et au début de l'arête Gallet proprement dite pendant que le lever de soleil vient nous toucher de sa lumière, ah c'est tout simplement magnifique. La suite de l'itinéraire est bien visible, c'est encore long mais ca a l'air de bien monter, quel bonheur de se trouver à cette heure à cet endroit. En bas à droite l'ombre c'est moi !

La vue sur le bassin de l'A Neuve est tout aussi belle, il y a toujours le Tour Noir au centre du panorama, l'aiguille de l'Amône se dresse à gauche et de petites bribes de fins nuages s'échauffent paisiblement.

On suit donc l'arête Gallet bien tracée dans une neige excellente, il y a plusieurs petites rimayes à passer mais sans difficulté, on fait juste attention à ne pas trop s'essoufler et on fait plusieurs petits arrêts, autant pour ne pas laisser le coeur trop s'emballer que pour se répéter que cette course est vraiment chouette. Ci-desous Luc :

En toutes choses rien n'est cependant jamais acquis et nous savons que l'arête sommitale sera coupée d'une petite face plus glacée. Nous passons ainsi quelques mètres où la bonne neige recouvre de la véritable glace, puis nous arrivons à un second passage : ca monte et ca part en traversée, il faut s'attacher et tirer une longueur de corde pour passer en sécurité.

Nous avons trois broches. Une pour le relais initiale. Luc passe en premier et pose la seconde au milieu de la traversée. Technique de cramponage sûre et sans reproches, il termine le passage et essaie de faire son relais avec la troisième broche, mais impossible de la faire pénétrer dans la glace, c'est une broche à deux francs tout juste utilisable sur neige dure ! Alors il reste accroché à son piolet, je déséquipe mon relais et je monte jusqu'à la broche au milieu de la traversée, je me vache et de là je lui envoie sur un anneau de corde la seule autre broche utilisable pour qu'il puisse enfin faire son relais. Il la pose et assure donc heureusement mon passage, parce que pour moi c'est beaucoup plus tendu, c'est quand même de la vraie glace vive et bien transparente et je manque de confiance pour bien passer, enfin bon péniblement et tremblotement je rejoins Luc.

Pour mieux définir la qualité de cette fameuse troisième broche, je dirai que c’était comme vouloir transpercer une motte de beurre avec de la guimauve ; même avec un marteau, on ne finit jamais par y arriver. La prochaine fois, je prendrai les deux broches qui traînent dans mon placard.

Après ce passage en glace on retrouve le fil de l'arête et des conditions de neige plus faciles, on monte encore un peu et voilà le sommet à portée de main, on arrive ! Un peu de mixte facile et plaisant dans des petits rochers et c'est le sommet, 9 h 45, altitude 3823 mètres, youpi ! ! ! Vue sur l'arête de montée déjà recouverte en bonne partie par un nuage :

Eh oui, nous ne sommes pas seuls au sommet, il y a aussi beaucoup de nuages, surtout côté français. Jolie vue néanmoins sur les Courtes (un autre grand souvenir de course avec Jean-Philippe) et l'arête qui continue aux Droites et à l'Aiguille Verte.

Le massif du Mont Blanc compte cinq sommets avec une Vierge : les Drus, le Grépon, la dent du Géant, la tour Ronde et le Dolent donc, où nous prenons ensemble la pose.

Et puis nous commençons la descentede la voie normale, d'abord à pied, et nous arrivons vite à un petit col d'où nous allons pouvoir chausser les skis. On se restaure un peu et il se trouve que c'est l'anniversaire de Luc ! Et oui, un Mont Dolent et une arête Gallet le jour de son anniversaire c'est plutôt sympa ! J'ai prévu le coup et j'ai pris une petite bougie mais elle n'a pas de petit picot dessous, je n'ai pas non plus de gateau d'anniversaire quand même, alors je plante la bougie dans son Caprice des Dieux, dans le fromage comme ca ca va bien, il y a un peu de vent Luc n'a pas le temps de souffler sa bougie que c'est une petite rafale qui s'en charge, on recommence et je chante un très rapide "Joyeux Anniveraire!" en même temps qu'il souffle instantanément sa bougie.

C’était vraiment un moment très émouvant : le plus beau fromage d’anniversaire de toute ma vie !

Après on chausse donc les skis et je me réjouis à l'avance de tous les mètres de dénivellée que nous n'allons pas avoir à marcher, le ski alpinisme ca a quand même du bon. Comme pour un vol montagne en parapente, le plaisir de la montée sans les contraintes de la descente, au contraire même un autre plaisir à la descente, et sans l'incertitude du décollage et des conditions de vols propres au parapente.

Sauf que pour commencer la neige n'est que peu dégelée ce n'est pas facile à skier. Puis un petit mur pas évident à passer, mais ensuite les conditions deviennent meilleures, la neige est même exactement transformée comme il faut, ohoh quel plaisir de skier ainsi le dernier jour d'avril dans un tel cadre après une telle ascension !

On enchaine les petits virages, on passe au-dessus du bivouac Fiorio et on rejoint le petit col Ferret. Là il y a un tout petit passage denneigé on en profite pour manger et boire encore et on voit plein de marmottes qui gambadent sur les névés en face. On voit aussi une petite chenille et on repart finir la descente, ski tranquille et facile dans la même combe que hier à la montée, la boucle se boucle pile à 14 heures, 24 heures pour tout faire, 24 heures d'effort et de plaisir en montagne, et pleins d'images et de souvenirs pour les années à venir.

Pour décrire cette descente, je n’aurai qu’un mot : vive le chasse-neige libre et décomplexé du skieur moyen qui en a plein les guibolles et qui en plus manque d’entraînement ! Mais au final, quelle joie d’avoir fait une si belle course, avec une ambiance et un itinéraire aussi purs. Après ça, je me dis que je vais faire plus de ski de rando la saison prochaine. Fini la glandouille sur les télésièges !

Et puis c'est la route du retour, cette fois de Martigny on continue jusqu'au lac Léman où je me baigne un coup, et rouler encore jusqu'à Lyon, à vrai dire je ne suis pas spécialement fatigué mais les routes de retour en voiture c'est toujours long et pénible, on ne parle pas beaucoup et on arrive chez nous, tous les nuages du matin se sont transformés en gros orages.

Et le lendemain encore un coup de roller sur la petite rampe du parc de Gerland pour bien finir de manière complète ce grand WE sportif.

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